Débats philosophiques et politiques autour de la Fraternité

Le 29 avril 2009 s’est tenu à la mairie du 4eme arrondissement de Paris un débat sur la Fraternité. Ségolène Royal l’a introduit rappelant qu’il s’agissait non pas d’un meeting politique, mais d’une réunion regroupant des penseurs de sensibilité intellectuelle différente, ayant tous le point commun de se sentir concernés par la question de la fraternité, entendue à la fois comme mouvement vers la constitution d’un NOUS transcendant les égoïsmes du JE et l’indifférence du ON anonyme, et à la fois comme pilier de notre République et de ses principaux tenants et aboutissants aussi bien théoriques que pratiques. Ainsi se sont regroupés autour de Régis Debray  qui vient notamment de publier son livre Le Moment fraternité plusieurs philosophes tels que Pierre Manent, spécialiste du libéralisme, Robert Damien auteur de Le conseiller du Prince – De Machiavel à nos jours, Salim Abdelmajib jeune philosophe spécialisé sur l’Afrique, Jean-Claude Guillebaud essayiste attaché à l’éthique  etc.

Des compte rendus de ces débats auxquels je n’ai pas pu intégralement assister ont été en principe annoncés pour une très prochaine date. J’en tiendrai évidemment informé les lecteurs en leur en proposant une synthèse et en les renvoyant le cas échéant aux sites présentant les actes de ce débat.

PhiloLog, blog de Simone Manon, professeur au lycée Vaugelas de Chamberry

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Un remarquable blog très riche et complet de Simone Manon, professeur de philosophie au lycée Vaugelas de Chamberry:profileC’est une initiative fort louable que des blogs aussi bien organisés et aussi fournis voient le jour sur le WEB. Aussi bien les élèves que les enseignants pourront trouver matière à information et à inspiration ainsi que de nombreux conseils de méthode. Pour ma part j’ai déjà utilisé un texte de Kant et le corrigé que propose Simone Manon sur son blog : je me suis évidemment dépéché et imposé de signaler à mes lecteurs et élèves que j’avais emprunté ce travail d’explication à ma collègue de Chamberry, et de leur indiquer l’adresse de son blog.
http://www.philolog.fr

Espérons que nous verrons encore fleurir prochainement beaucoup de ces blogs instructifs et qui plus est rendus agréables à parcourir grâce à une illustration abondante et adéquate.
Bravo à vous chère Simone et tous mes compliments et encouragements pour persévérer dans cette belle et louable initiative.

Texte 10 « Autrui comme structure… ». Un célèbre texte de Gilles Deleuze à partir du célèbre roman de Tournier, Vendredi ou les Limbes du Pacifique


En comparant les premiers effets de sa présence et ceux de son absence, nous pouvons dire ce qu’est autrui. Le tort des théories philosophiques, c’est de le réduire tantôt à un objet particulier, tantôt à un autre sujet (et même une conception comme celle de Sartre se contentait, dans l’Être et le Néant, de réunir les deux déterminations, faisant d’autrui un objet sous mon regard, quitte à ce qu’il me regarde à son tour et me transforme en objet). Mais autrui n’est ni un objet dans le champ de ma perception, ni un sujet qui me perçoit, c’est d’abord une structure du champ perceptif, sans laquelle ce champ dans son ensemble ne fonctionnerait pas comme il le fait.
Que cette structure soit effectuée par des personnages réels, par des sujets variables, moi pour vous, et vous pour moi, n’empêche pas qu’elle préexiste, comme condition d’organisation en général, aux termes qui l’actualisent dans chaque champ perceptif organisé le vôtre, le mien. Ainsi Autrui-a-priori comme structure absolue fonde la relativité des autruis comme termes effectuant la structure dans chaque champ. Mais quelle est cette structure ? C’est celle du possible. Un visage effrayé, c’est l’expression d’un monde possible effrayant, ou de quelque chose d’effrayant dans le monde, que je ne vois pas encore.
Comprenons que le possible n’est pas ici une catégorie abstraite désignant quelque chose qui n’existe pas : le monde possible exprimé existe parfaitement, mais il n’existe pas (actuellement) hors de ce qui l’exprime. Le visage terrifié ne ressemble pas à la chose terrifiante, il l’implique, il l’enveloppe comme quelque chose d’autre, dans une sorte de torsion qui met l’exprimé dans l’exprimant. Quand je saisis à mon tour et pour mon compte la réalité de ce qu’autrui exprimait, je ne fais rien qu’expliquer autrui, développer et réaliser le monde possible correspondant. Il est vrai qu’autrui donne déjà une certaine réalité aux possibles qu’il enveloppe : en parlant, précisément.
Autrui, c’est l’existence du possible enveloppé. Le langage, c’est la réalité du possible en tant que tel. Le moi, c’est le développement, l’explication des possibles, leur processus de réalisation dans l’actuel. D’Albertine aperçue, Proust dit qu’elle enveloppe ou exprime la plage et le déferlement des flots : « Si elle m’avait vu, qu’avais-je pu lui représenter ? Du sein de quel univers me distinguait-elle ? » L’amour, la jalousie seront la tentative de développer, de déplier ce monde possible nommé Albertine. Bref, autrui comme structure, c’est l’expression d’un monde possible, c’est l’exprimé saisi comme n’existant pas encore hors de ce qui l’exprime.
La Logique de Sens, Paris, Ed. de Minuit, 1969, pp. 354-355.